L'anguille se raréfie : enfin un plan de sauvegarde !

 

 

Un voyage périlleux entre eau douce et eau de mer

L’anguille (Anguilla anguilla) vit alternativement en eau douce et en eau de mer et doit traverser l’océan Atlantique pour se reproduire en mer des Sargasses (à environ 6000 km de nos côtes) . Les larves prennent ensuite le chemin inverse, migrant passivement portées par le Gulf stream, pour atteindre les côtes européennes, depuis le Portugal jusqu’en Scandinavie, en passant par le pourtour méditerranéen. A l’approche des côtes, elles se métamorphosent en civelles, petites anguilles transparentes, qui pénètrent dans les estuaires pour coloniser les eaux continentales où elles se transforment progressivement pour devenir des anguilles jaunes : elles vont vivre et croître pendant une dizaine d’années dans nos rivières. Au terme de leur vie en eau douce, les anguilles entament une migration vers l’aval des bassins versants et se transforment en anguilles argentées pour rejoindre les eaux marines et la zone de reproduction en mer des Sargasses.

Autrefois abondant et même considéré comme nuisible, ce poisson est aujourd'hui victime d'un commerce international important, situation aggravée par le fait que sa reproduction en captivité est actuellement impossible à des fins d'élevage. On estime qu'au cours des 25 dernières années, le stock mondial des anguilles a décliné de 95 à 99 %.

 

Règlementation européenne

Le règlement européen n° 1100/2007 du 18-09-2007 institue des mesures visant à reconstituer le stock d'anguilles dans toute l'Europe.

Ce plan vise surtout la reconstitution du stock de géniteurs qui repartiront vers l’Océan pour rejoindre leur zone de reproduction. Désormais, la pêche sera limitée de sorte qu'au moins 40 % des anguilles adultes d'un fleuve puissent revenir à la mer pour s'y reproduire. Le règlement européen prévoit aussi que les Etats membres qui autorisent la pêche des jeunes anguilles (dont la taille est inférieure à 20 cm) doivent mettre en place un dispositif permettant aux Etats membres d’acheter de jeunes anguilles à des fins de repeuplement. Cette mesure « compensatoire » permet de maintenir une activité de pêche.

Ces mesures doivent être déclinées sous a forme de plans de gestion, ceci avant le 31 décembre 2008. En cas de non-présentation des plans de gestion, il y aura des sanctions (réduction de 50% de l'effort de pêche ou de captures/moyenne 2004-2006.

Le ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables ainsi que le ministère de l’agriculture et de la pêche sont chargés de mettre en place un plan de gestion national pour la reconstitution du stock d’anguilles à l’échelle nationale.

 

Pourquoi un règlement européen ?

1 : Ce poisson est considérécomme une espèce panmictique, c'est à dire que les géniteurs sont présents au même endroit (mer des Sargasses), au même moment, quelle que soit leur origine européenne de croissance.

2 : L'état du stock de ce poisson devient préoccupant. Ce n'est pas un phénomène nouveau en Europe : sa raréfaction est observée depuis les années 80. Le nombre des civelles (jeunes anguilles) arrivant sur nos côtes diminue ainsi que celui de sa présence dans les eaux continentales (la quantité de géniteurs vivants dans les bassins versants a diminué de 75% !). La totalité de son aire de distribution est affectée. Actuellement les indicateurs sont au plus bas et aucun signes ne permet d'envisager une remontée des stocks. Il est probable que la population d'anguille soit entrée dans un mécanisme dépensatoire, c'est à dire que les stocks ne sont plus suffisant pour assurer sa pérennité. Le prix de la civelle a fortement augmenté (demande accrue et abondance réduite) et la pression de cette pêche est devenue plus intensive. En 2007, l'anguille figure alors à l'annexe II de la Convention sur le commerce InTernational des Espèces de faune et de flore Sauvages menacées d'extinction (CITES) : son commerce est alors réglementé.

.civelles ..... et ..... adulte.

 

L'anguille est une espèce menacée : les raisons

- obstacle à la migration par la présence de nombreux barrages non équipés de passe à poissons, turbines (Ainsi dans certains estuaires, comme celui de la Vilaine qui est fermé par un barrage, le taux de capture des civelles avoisine les 95% !)

- pêche légale et illégale (braconnage) : Activité économique liée à l’espèce (données 2003)
• 1 600 pêcheurs d’estuaire, 150t/an
• 600 pêcheurs d’eau douce, 100t/an
• Pêche loisir ::~ 45t/an
• Prix de vente civelle entre 400 et 800€/kg

- pollution des cours d'eau et des sédiments par des agents contaminants et des produits phytosanitaires (l'anguille semble particulièrement sensible aux pesticides). L'accumulation d'éléments toxiques réduirait en effet son potentiel reproducteur.

- prélèvement excessif d'eau pour l'irrigation (jusqu'à l'assec parfois)

- régression des habitats (canalisation des cours d’eau et drainage des zones humides)

- parasitisme (anguillicola) qui semble perturber leur migration marine sur le retour vers nos côtes

- virus

 

Les mesures possibles pour reconstituer les stocks de géniteurs :

- Réduire l’activité de pêche commerciale
- Limiter la pêche récréative
- Repeupler les zones exemptes des facteurs qui impactent le stock (60% des anguilles < 12 cm à réserver pour le repeuplement)
- Faciliter le franchissement des rivières et améliorer les habitats dans les cours d’eau
- Transporter des anguilles argentées depuis les eaux intérieures vers des eaux où elles puissent migrer librement vers la mer des Sargasses
- Lutter contre les prédateurs
- Arrêter temporairement les turbines des centrales hydroélectriques
- Favoriser l’aquaculture

 

En France, un plan de gestion élaboré en concertation

En France, la totalité du territoire est concerné du fait de la présence de l’anguille dans tous les bassins versants. Le volet national du plan est piloté par les ministères en charge des pêches maritimes et de l’écologie, et par l’Onema. Il sera décliné localement par bassin versant et piloté par les Directions régionales de l’environnement, en concertation avec les principaux services concernés : directions régionales des affaires maritimes, délégations interrégionales de l’Onema et les agences de l’eau. Dès l’été 2007, avant même la publication du règlement européen, quatre groupes de travail thématiques ont été mis en place pour lancer l’élaboration du plan national de gestion :

- ouvrages, piloté par le ministère en charge de l’écologie

- pêcheries et contrôle des pêches, piloté par le ministère en charge de la pêche (MAP)

- repeuplement, coordonné par le MAP

- monitoring, piloté par l’Onema (Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques).

 

Les premières mesures proposées par la France : reconstitution de stocks, repeuplement des bassins et limitation des pêches

Afin de reconstituer les stocks d’anguilles, la France a d’ores et déjà fait le choix de porter l’effort sur les trois principales causes françaises du déclin de la population d’anguilles européennes, à savoir les ouvrages en cours d’eau, la pêche et les polluants. L’objectif français est de retrouver progressivement un nombre d’anguilles équivalent à celui qui existait avant l’effondrement du stock du début des années 80.

Pour les actions de repeuplement, la France s’oriente notamment vers la mise en place d’un quota « civelles » au niveau national, l’organisation d’un suivi national de la demande et des ventes de civelles de la part des Etats membres, le lancement d’une bourse d’échange via un site Internet européen, la mise en place d’un comité national chargé du suivi des ventes pour le repeuplement et la définition de sites potentiels pour le repeuplement en France sur tous les bassins.

Enfin, d’une manière générale, la pêche sera interdite en dehors du périmètre du plan de gestion. Les quantités d’anguilles prélevées devront être réduites globalement, sachant que les mesures diffèreront selon les catégories de pêcheurs. La mise en place de quotas de capture et de licences contingentées pour chaque stade biologique de l’anguille est actuellement privilégiée par les professionnels et les gestionnaires pour les bassins de la façade Atlantique/Manche/Mer du Nord.

 

Un programme de recherche public/privé, piloté par l’Onema

Sans attendre, un programme de recherche et développement a été lancé pour étudier et comprendre le comportement des anguilles et l’impact des ouvrages, notamment hydroélectriques, sur la migration et la mortalité de celles-ci. Ce programme, d’un montant de plus de 4 millions d’euros (financé à hauteur d’un tiers par l’Onema), sera inscrit dans le Plan de gestion de la France sur l’anguille et permettra d’obtenir des résultats d’ici la fin de l’année 2009. Il vise à disposer de techniques efficaces et opérationnelles d’aménagement des ouvrages. Il implique, aussi Electricité de France, la Compagnie nationale du Rhône, la société hydro-électrique du Midi (SHEM, filiale de Electrabel, groupe Suez) et France hydro électricité.

L’Onema pilotera l’évaluation du plan de gestion, portera sur les différents types de pêcheries, les obstacles à la montaison et la dévalaison, les mesures de repeuplement, la restauration des habitats, les contaminations, les prédateurs.

transparence de la civelle

Les échéances de l’application du règlement européen

Décembre 2008 : transmission des plans de gestion
Janvier 2009 : mise en place des mesures de contrôle
Juillet 2009 : 35% des jeunes anguilles dédiées au repeuplement et réduction de 15% des efforts de pêche en eaux maritimes
Juin 2012 : transmission des évaluations des plans de gestion
Juillet 2013 : 60% des jeunes anguilles dédiées au repeuplement et réduction de 50% des efforts de pêche en eaux maritimes